Tombé du Ciel (genre: comédie, fantastique)

 

Bouuuum ! Entendit-elle, suivi de « Ouiiiiille !!! Aïe-aïe-aïe !! ».

Elle sursauta, et resta interdite quelques instants. Heureusement son bébé était à portée de vue et gazouillait gentiment, racontant des histoires secrètes  à sa peluche, comme seuls savent le faire les enfants. Donc ce n’était pas lui qui avait fait ce grand bruit sourd.

Elle reposa le torchon qu’elle avait dans les mains, accessoire conforme à son rôle temporaire de mère au foyer. Elle alla jeter un œil à sa fenêtre donnant sur la rue, écartant le rideau tout en restant à couvert, méfiante de nature. Rien à droite, rien à gauche. Rien au milieu.

Avait-elle rêvé ? Le chien n’avait eu aucune réaction, mais ce n’était pas un gage de sûreté, lui qui entendait parfois des voix, ou était sourd à d’autres moments. Un gémissement lui prouva que non. Elle traversa la pièce, déposant au passage un baiser sur les cheveux du petit insouciant. Elle s’approcha de la baie vitrée, doucement… Et elle vit.

 

***

Actuellement, Victoire était en congé parental ; elle s’était offert une parenthèse enchantée pour voir grandir son petit chéri, et prendre un peu de temps pour elle. Etait-ce finalement signe d’ennui, cette aventure incroyable, au sens propre, qui lui arriva ? Elle lisait trop de contes de fées et de chevaliers, son esprit avait vagabondé et mélangé rêve et réalité…

 

***

 

En s’approchant de la porte vitrée qui donnait sur sa terrasse et son jardin, Victoire avait vu un homme. Il était assis par terre et se massait l’épaule qui semblait douloureuse.

Le jardin n’était pas accessible depuis la rue. Il donnait sur des pâtures où broutaient paisiblement tantôt des vaches, tantôt des chevaux et des chèvres.

Comment donc ce jeune homme était-il arrivé là ?

Elle jeta un œil sur Adrien, qui regardait également sa maman d’un air interrogateur.

Que faire, seule avec son petit garçon ? Appeler Gauthier, son mari ou la police ? « Allô, j’ai un monsieur tombé du ciel dans mon jardin !» Cela semblait un tantinet absurde.

L’homme semblait avoir entre vingt-cinq et trente ans. Imberbe, il avait un visage doux, bien qu’à l’instant même, il grimaçait de douleur. Il aperçu Victoire, et sembla aussi surpris qu’elle. Il lui inspirait confiance, elle entrouvrit la porte.

 

«  Ah, c’est chez vous que j’ai atterri !

-          Pardon ?!

-          Ça va, j’aurai pu moins bien tomber… Ou mieux, je ne sais pas ! dit-il en montrant son épaule.

-          Mais qui êtes-vous ? On se connaît ?

-          Ouille ouille ouille, que ça fait mal …

-          Comment vous êtes-vous fait ça ?

-          Eh bien, on était là-haut avec René et …

-          Comment ça « là-haut » ? coupa Victoire en regardant autour d’elle à la recherche d’un éventuel poteau électrique, sans succès. Ils étaient tous trop éloignés.

-          Bin, là haut ! Vous ne voudriez pas d’abord m’aider à me relever s’il vous plait ?

Victoire sortit, s’approcha de l’homme. Il lui souriait du coin de la bouche, mi-penaud, mi-amusé, lui tendant la main. Victoire l’aida à se relever, il se tapota les fesses pour enlever les herbes collées à son pantalon. Il était vêtu très simplement d’un tee-shirt blanc, d’un jean bleu et d’une paire de baskets noires. Simple, efficace.

Frottant une nouvelle fois son épaule, il demanda :

-          Vous m’offrez de l’Arnica ? »

 

***

 

Mue par on ne sait quel sentiment inhabituel de sûreté, Victoire lui avait offert la sacrosainte pommade qu’elle était allé chercher dans son chevet, puis un café. Elle avait mis son petit garçon à la sieste tandis qu’il s’était appliqué la crème. Assis à la table de pièce principale, elle attendait qu’il veuille bien l’éclairer. Il dégustait tranquillement sa boisson chaude, et n’y tenant plus, elle lui demanda :

« Alors, voulez-vous bien me dire qui vous êtes, et ce que vous faisiez dans mon jardin ? Et pourquoi vous semblez me connaître ? Et pourquoi tout ceci est tellement bizarre, finalement que fichez-vous dans ma salle à manger ?

Sa voix était montée dans les aigus au fur et à mesure de sa tirade. Elle se contint finalement pensant à Adrien qui dormait sagement.

-          Oh hé doucement ! Comme je vous disais, on était là-haut, en pause café, et puis il y a ce petit nouveau-là, Vincent, Vince comme on l’appelle déjà et …

-          Attendez, attendez, comment ça « là-haut » ? Je me répète mais je ne comprends pas !!

-          Bin, là-haut, au Ciel !

Regard stupéfait.

-          Vous êtes tombé d’un avion ?

-          Non, j’étais dans la salle de contrôle, dans le Ciel et …

-          Mais attendez comment ça, salle de contrôle dans le Ciel mais ça n’a aucun sens !

-          Oh. Pardon. A force d’y être, on oublie parfois que …

-          Que quoi ? D’être où ?

-          On oublie parfois que vous les Hommes, vous ne savez pas tout. Je vous explique ?

-          J’en serai heureuse !

-          Je m’appelle Gabriel. Je suis… un Ange.

 

***

Victoire ne put s’empêcher de pouffer, devant une telle déclaration et l’air si sérieux de son interlocuteur.

-          Ah vous riez ? Très bien, je ne dis plus rien, bouda-t-il.

-          Non, non, je vous écoute ! Oh allez, ne soyez pas si susceptible ! Après tout, c’est vous qui vous êtes invité chez moi ! Vous me devez bien ça !

-          Bon, je reprends, mais cette  fois, pas de gloussement !

-          Non, non.

-          Pas de sourcils dubitatifs ?

-          Promis.

-          Pas de…

-          Oh ça va, abrégez !!

-          Bien, bien, ça va, j’y vais…  Donc je disais, je suis un Ange. Dans le ciel, dans une sorte de dimension parallèle, il y a une salle de contrôle. C’est une salle immense, avec des dizaines d’écrans. Nous sommes des centaines, et nous vous observons, vous, les Hommes. Tous. De l’homme d’affaires new-yorkais au mendiant de Bombay. Du garde suisse du Vatican à l’acteur d’Hollywood. De la femme enceinte au vieil esquimau pêchant sur sa banquise. Jeune, vieux, homme, femme, chrétien, musulman, juif, orthodoxe, végétarien, blanc, noir, jaune, hétéro, homo, transsexuel, riche, pauvre, aimable ou très con, on vous voit tous.

-          Ca ne doit pas être triste …Alors c’est comme ça que vous me connaissez ? Vous m’épiez ?

-          Oh, non, ne le prenez pas comme ça ! Nous ne pouvons pas suivre exactement tout le monde, nous avons des détecteurs.

-          Des détecteurs de … ?

-          Eh bien… Vous voyez dans les bandes dessinées, quand le personnage doit faire un choix, il a un petit ange sur l’épaule, et un petit diable sur l’autre ? Eh bien … eh bien …

-          Eh bien ??

-          Eh bien, c’est pas forcément une invention… Quand nous voyons un humain confronté à un choix qui lui semble difficile, nous nous mettons en mode invisible et mais non ! On a dit pas de gloussement !! Oui, donc en mode invisible, et nous allons aux cotés de la personne. De l’autre côté, quand ils nous voient débarquer, forcément, ils envoient quelqu’un aussi.

-          De l’autre côté ?

-          Eh bien, l’autre côté quoi !

-          L’Enfer ?

-          Oui, on peut dire ça.

 

Victoire entendit Adrien couiner à l’étage. Elle laissa un instant « l’Ange », et tout en grimpant les escaliers, se demanda si ce n’était pas plutôt l’hôpital psychiatrique qu’il faudrait appeler. Pour lui qui semblait affabuler… Ou pour elle, qui avait envie d’y croire. Elle remit sa tétine au petit dormeur, et constatant qu’il semblait vouloir se reposer encore un peu, redescendit sur la pointe des pieds.

Elle observa un instant Gabriel avant d’entrer dans la pièce. 1m80, corps athlétique, belles mains aux ongles soignés. La peau semblait douce. Les cheveux châtains, courts sur les côtés, un peu plus long sur le dessus, on aurait envie d’y glisser la main. Malgré la beauté du jeune homme, ce n’était pas une attirance sensuelle qu’elle éprouvait. Plutôt l’envie de tendresse amicale, l’écouter, se laisser rêver.

Que penser de ce qu’il venait de lui raconter ? En dépit de l’extravagance de l’histoire, elle n’arrivait pas à se convaincre qu’il était un tueur psychopathe en train d’endormir sa vigilance pour mieux la découper par la suite. C’était trop énorme ; s’il avait voulu, il aurait pu dire que sa voiture était en panne, que son téléphone n’avait plus de batterie, qu’il s’était perdu, qu’il cherchait son chien …Y avait-il vraiment, là-haut, des êtres comme Gabriel qui nous observait ?

Et… pourquoi pas finalement ?

-          Bon.

-          Bon ?

-          Je ne sais pas vraiment que penser de tout ça.

-          J’imagine.

-          Vous êtes vraiment là-haut ?

-          Oui.

-          Et vous nous observez.

-          Oui.

-          Et vous allez sur les épaules des gens.

-          Uniquement sur l’épaule gauche, coté cœur, répondit Gabriel avec un immense sourire.

-          Hein hein. Tout cela ne me dit toujours pas ce que vous fichiez dans mon jardin ?

-          J’ai commencé et vous m’avez interrompu !

-          …

-          Bon, bon, d’accord… Donc je disais, dans l’open-space, oui car ça ressemble vraiment à un open-space en fait, je suis avec René, un ancien, un farceur le René… Faut que je vous raconte un jour, René, il …

-          Gabriel !

-          Hum, oui, donc, je suis dans au bureau avec René et Vince, le petit nouveau. Et René a voulu faire une blague à Vince. Sauf que c’est sur le pauvre Gabriel que c’est retombé apparemment… Je vous dirai que réellement, je ne sais pas comment j’ai atterri ici. Je savais que c’était possible, mais…

Soudain, le visage de Gabriel s’assombrit. Il avait l’air d’un coup très apeuré.

-          Qu’y a-t-il ? demanda doucement Victoire.

-          Eh bien, à vrai dire… Personne n’est jamais revenu nous raconter. Je veux dire, j’ai eu une fois un collègue, Jean-François, à qui c’est arrivé, je l’ai suivi des jours sur les écrans de contrôle. Avec tous les copains, on était rivé aux moniteurs, suivant ses aventures comme s’il s’était agi de la dernière saison de Desperate Housewives. Il ne manquait que le pop-corn.

-          Et alors, que lui est-il arrivé ?

-          Un matin, il avait disparu. On ne l’a jamais revu. Ni sur les écrans, ni au bureau.

 

***

Gabriel accepta une seconde tasse de café, et ne refusa un petit scone fait maison. Victoire lui avait demandé ce qu’elle pouvait faire pour lui, mais lui-même n’avait pas la réponse. Adrien réveillé, ils décidèrent ensuite d’aller faire une balade dans le quartier. Victoire se demanda un instant ce que diraient ses voisins de sortir en compagnie d’un séduisant jeune homme en l’absence de son mari. Bah, cela leur ferait un sujet de discussion, elle avait sa conscience pour elle.

Gabriel lui raconta des histoires de ciel, des blagues que lui faisait son ami René, de petits nouveaux qu’il fallait former, de pauses café dans les couloirs. Des histoires d’humains également, les décisions qu’ils avaient à prendre.

Certains choix étaient comiques : sage robe rose, ou chemisier décolleté affriolant ? Les diablotins aimaient les décolletés, mais les anges intervenaient… « Parfois » ajouta Gabriel avec un clin d’œil. Verre de Porto ou whisky 15 ans d’âge ? Voiture de sport ou break familial ? Ma femme, je la trompe avec ma secrétaire aux porte-jarretelles apparents ou pas ?

Mais Gabriel se rembrunit à nouveau, en évoquant des choix bien plus tragiques. Débrancher son épouse dont la vie n’était retenue que par les branchements à une machine ? Donner les organes de sa sœur décédée brutalement d’un accident de voiture ? Se soigner quand notre espérance de vie avait été formellement raccourcie par une maladie, ou profiter des dernières semaines ?

« Alors, vous soufflez aux gens les bonnes réponses, vous nous dites quoi faire ?

-          Absolument pas. Nous donnons des arguments qui aident les gens à choisir en leur âme et conscience. Nous voulons simplement qu’ils soient en harmonie avec eux-mêmes. Voyez, dans ces exemples, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Simplement des choix en adéquation avec la personnalité. Si la personne est foncièrement bonne, le bon choix sera celui en accord avec l’altruisme qui émane d’elle naturellement. Nous orientons simplement. Si la personne est mauvaise… Nous faisons de notre mieux » finit-il en haussant les épaules d’un air désolé.

 

Victoire se rendait compte que la vie des Hommes était parfois bien compliquée. Elle regardait Adrien, et enviait sa légèreté. Que la vie lui soit douce, formulait-elle en un vœu silencieux.

A force de parler en marchant, ils ne s’étaient pas rendu compte qu’ils étaient revenus à la maison. Gabriel leva le nez au ciel et dit simplement « L’air est doux, c’est une belle journée » en souriant, les yeux fermés.

Victoire leva alors les yeux également, pour humer l’air.

Oui, c’était une belle journée.

Elle chercha ses clés, laissant Gabriel derrière elle. Elle ouvrit la porte, entra, se dépêcha de détacher Adrien de sa poussette, lui enleva son manteau et alla l’asseoir dans son parc.

Elle revint dans l’entrée pour ranger la poussette et laisser entrer Gabriel. La poussette était toujours là, mais elle ne vit pas l’ange.

« Gabriel ? » appela-t-elle en ressortant. A nouveau, droite, gauche, devant : personne.

« Gabriel ! » s’exclama-t-elle à nouveau.

Rien, ni personne.

Sa voisine était sortie chercher son courrier, elle la héla :

« Bonjour ! Ca va ? Dites, vous avez vu le jeune homme qui était avec moi il y a quelques instants ?

-          Bonjour ! ca va et vous ?! Non, non, j’n’ai vu personne !

-          Il était avec moi il y a une minute à peine !

-          Il y a une minute je vous ai vu entrer dans votre maison, mais le seul jeune homme c’était le p’tit Adrien ! Comment va-t-il ?

-          Euh, bien, merci. J’étais seul avec Adrien, vous êtes sûre ? Vous n’avez pas du le voir simplement, à cause l’arbre devant votre maison.

-          Peut-être. En tout cas, je n’ai vu que vous et votre petit bout.

Victoire était troublée.

Elle rentra, ne pouvant laisser Adrien seul plus longtemps. En pénétrant la salle à manger, elle constata que les deux tasses de café n’étaient plus sur la table. Pas même la sienne.

« Ok, soit j’ai rêvé, soit je perds la boule, hein mon bébé, qu’est-ce que tu en penses ?! Il était là le monsieur, mon cœur ? »

L’enfant lui répondit par un grand sourire édenté.

La fin de la journée se déroula aussi normalement que possible, même si elle cherchait désespérément une explication plausible à ce qui c’était produit.  Rêve ? Hallucination ? Ou était-ce vraiment arrivé ? Elle aurait simplement oublié qu’elle avait rangé les tasses ? Gabriel avait-il disparu comme son ami Jean-François ? Avait-il été ramené chez lui par ses collègues ?

Quand Gauthier rentra, elle ne savait pas trop quoi lui dire. Elle finit par lui raconter. D’abord suspicieux à l’idée qu’un jeune homme ait tenté de séduire sa femme, il fut ensuite simplement amusé, puis inquiet à l’idée que son épouse puisse inventer de telles histoires, et surtout elle semblait y croire …

Victoire, devant l’air dubitatif de son mari, lui dit dans un petit rire qu’elle avait une imagination un peu trop fertile, sans doute.

Elle alla se coucher.

 

***

 

Quand elle voulut prendre le roman en cours rangé dans son chevet, elle constata que l’Arnica n’était plus à sa place.

Elle ne dit rien, reposa le livre, éteignit la lumière, ferma les yeux en souriant.

Oui, ça avait été une belle journée.

 

FIN

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